Vers une alliance franco-allemande pour l'hydrogène

L'Allemagne et la France ont dévoilé en 2020 leur stratégie de développement de l’hydrogène. Les deux pays semblent vouloir aller dans la direction et souhaitent notamment concentrer leurs efforts dans les mêmes secteurs, à savoir l’industrie et la mobilité lourde. La seule différence repose sur la stratégie de l’Allemagne qui prévoit d’importer une partie de sa consommation d’hydrogène pour délivrer les volumes attendus, tandis que la France ne mentionne pas d’échanges transfrontaliers

En juin 2020, le ministre de l'Economie et de l’Energie Peter Altmeier a présenté la stratégie hydrogène allemande (Nationale Wasserstoffstrategie, NWS), une feuille de route qui va mobiliser 9 milliards dont 2 milliards d'euros aux partenariats internationaux, en plus des fonds de recherche déjà alloués. L'objectif est de faire du pays le numéro un mondial de l'hydrogène d'ici une décennie et de développer l'hydrogène propre, qui ne génère aucune émission de CO2 et aucune pollution atmosphérique, produit par électrolyse de l'eau avec de l'électricité issue de sources renouvelables. Dans un premier temps, l’objectif affiché est de 5 gigawatts d’électrolyseurs installés d'ici 2030. En 2040, cette capacité installée sera doublée à 10 gigawatts. 

Trois mois plus tard, en septembre 2020, c'est au tour du ministre de l'Economie Bruno le Maire de présenter son plan de bataille. D'ici 2030, environ 7,2 milliards d'euros doivent être injectés dans la promotion de l'hydrogène, dont 3,4 milliards d'euros d'ici 2023. Dans sa stratégie pour l'hydrogène décarboné, la France a déterminé trois priorités. En premier lieu, la création d'une filière française de l'électrolyse pour verdir son industrie. Le pays souhaite atteindre une capacité de production d'hydrogène décarboné de 6,5 gigawatts d'ici 2030. En second lieu, le développement d'une mobilité propre dans les transports, en particulier pour les véhicules lourds. La décarbonation des usages existants de l'hydrogène dans l'industrie et dans la mobilité représenterait une production de 630 000 tonnes d'hydrogène décarboné par an, soit une consommation d'électricité d'environ 30 TWh à l'horizon 2035, selon une étude réalisée par RTE (gestionnaire du réseau de transport d’électricité). Le recours à l'électrolyse permettrait de réduire les émissions de CO2 en France d'environ 6 millions de tonnes par an. En dernier lieu, le soutien à la recherche, à l'innovation et au développement de compétences pour promouvoir l'utilisation des technologies de demain, avec en prime la création entre 50 000 et 150 000 emplois directs et indirects. Le but est de créer un nouveau secteur industriel, générateur d'emplois et garant d'un savoir-faire technologique. 

Des synergies possibles

« Les stratégies franco-allemandes sont basées sur des priorités similaires. Le gouvernement allemand souhaite concentrer ses efforts dans les mêmes secteurs, dans l'industrie et la mobilité lourde. Il prévoit aussi une grande partie des investissements pour la recherche et le développement, enfin de créer un marché national de l’hydrogène. Car l'hydrogène « vert » coûte encore plus cher que l’hydrogène « gris », c’est-à-dire l’hydrogène principalement produit à partir de gaz naturel. Il faut rendre la filière plus compétitive », analyse Lena Müller-Lohse, Chargée de mission au sein de l'Office franco-allemand pour la transition énergétique (OFATE).  Une différence repose sur la stratégie mise en place par l'Allemagne pour délivrer les volumes attendus. L'Allemagne veut renforcer le développement des énergies renouvelables, mais le potentiel de développement est relativement limité au niveau national. « A la différence de la France qui dispose d’un mix électrique faible en CO2 pour fabriquer l’hydrogène décarboné, le mix électrique allemand est encore plus carboné. L'Allemagne souhaite principalement utiliser l’électricité produite à partir des énergies renouvelables pour produire l’hydrogène. La stratégie allemande prévoit donc d’importer une grande partie de l'hydrogène nécessaire, parce que la production locale d’énergie renouvelable ne suffira pas. Des partenariats énergétiques sont en cours de préparation, y compris avec l'Afrique du Nord pour combler les besoins énergétiques, et importer une majeure partie de l'hydrogène, afin d'anticiper une augmentation de la demande. Elle pourrait doubler jusqu'à 2030 », ajoute Lena Müller-Lohse.  Le gouvernement allemand prévoit en effet un besoin en hydrogène d'environ 90 à 110 TWh d'ici à 2030, donc une hausse d'au moins 35 TWh, issue d'une demande supplémentaire dans l'industrie mais aussi dans une moindre mesure dans les transports.  

L'engouement autour de cette énergie devrait favoriser les partenariats des deux côtés du Rhin.  « Les deux pays vont dans la même direction. Comme indiqué dans les stratégies nationales pour l’hydrogène français et allemand, il est prévu d’investir dans un projet important d’intérêt européen commun (PIIEC), afin de créer des synergies entre les fournisseurs de technologie européens. Angela Merkel et Emmanuel Macron ont annoncé en octobre dernier leur souhait de l’établir ensemble. Un manifeste sur le PIIEC Hydrogène a été signé fin 2020 par 22 pays membres de l’UE et la Norvège qui affirment leur volonté de créer une chaîne de valeur autour de l’hydrogène. Le PIIEC doit être notifié par la Commission européenne cette année », explique Lena Müller-Lohse. Les deux pays font par ailleurs également partie du PIIEC dans le domaine des batteries, également connu sous l’appellation « airbus des batteries ». Le projet couvre l’ensemble de la chaîne de valeur des batteries. Ce système d’aide autorise les pays membres à financer des initiatives à un niveau plus élevé qu’habituellement permis par la réglementation européenne. Le projet étant d'avoir la meilleure technologie possible pour s'affranchir des fabricants asiatiques.

Des champions de l’hydrogène

Pour atteindre l'objectif de neutralité climatique d'ici 2050 et devenir des fers de lance de l'hydrogène en Europe, la France et l'Allemagne veulent miser sur leurs champions respectifs. Citons en France la société Safra qui développe les bus à hydrogène, mais aussi la start-up Hopium pilotée par Olivier Lombard, le plus jeune vainqueur des 24 Heures du Mans, qui prévoit de lancer une « berline haut de gamme à propulsion hydrogène » et de proposer un prototype dès juin 2021. 

Parmi les autres entreprises clés qui oeuvrent dans la vente de systèmes compacts de production d'hydrogène : la pépite rhônalpine McPhy Energy, cotée en Bourse depuis 2014 qui fait partie des pionniers de l'hydrogène-énergie en France. Elle a mis au point une petite station hydrogène compacte tout en un, dans une logique de « starter kit ». Autre acteur : la société Genvia, créée à l'initiative de l'entreprise Cameron- Schlumberger et du CEA Grenoble, veut créer à Béziers une gigafactory pour produire des électrolyseurs haute température à oxyde solide. Cette technologie, totalement réversible, qui permet de basculer d'un mode électrolyse à un mode pile à combustible, a pour ambition de réduire considérablement la consommation d'électricité par kilogramme d'hydrogène produit.

L'Allemagne dispose elle aussi d'entreprises à la pointe de l'innovation. Le groupe Wilo, fournisseur de solutions et de systèmes de pompage, a annoncé en avril 2021 son intention de coopérer avec le producteur d'électrolyseurs Enapter. L'objectif est de définir des domaines de coopération possibles dans le secteur de l'hydrogène et de générer des synergies qui profitent aux deux parties. Les partenaires voient avant tout des potentiels mutuels dans des projets de construction d'une infrastructure de production et de transport d'hydrogène.  Parmi les autres pépites dans le secteur de la production, il y a BASF, qui développe une nouvelle technologie de production d'hydrogène à partir de gaz naturel, consistant à diviser directement le gaz naturel en hydrogène et en carbone ou encore Siemens, qui a annoncé en février 2021 s'allier avec le français Air Liquide pour développer de grands projets d'hydrogène décarboné à un prix compétitif. Dans le domaine de la distribution, le groupe Linde prévoit de construire un nouvel électrolyseur qui va produire de l'hydrogène vert pour approvisionner ses clients industriels. Dernier exemple : celui de Daimler qui ambitionne de développer la production en série de piles à hydrogène pour poids-lourds à partir de 2025.